Letters to Dad, 1979

Film argentique Super 8 numérisé et restauré, 4/3, couleur, son, anglais


Beth B et Scott B, également connus sous le nom de Beth & Scott B ou The Bs, comptent parmi les réalisateurs de films underground new-yorkais no wave les plus connus de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Leurs films Super 8 sont à cette époque autofinancés et diffusés dans des bars d’artistes, des salles de projections éphémères et des clubs comme le CBGB, le Max’s Kansas City, le Mudd Club ou le 8BC. Le choix du format Super 8, dont le rendu produit « des images granuleuses aux couleurs acides, donnant aux films un aspect brut » [1], offre une alternative à la culture mainstream états-unienne. Les deux cinéastes tentent de transcrire dans leurs œuvres la décadence du Lower East Side et ses aspects les plus sombres (torture, manipulation mentale, dérives sectaires), de manière à accompagner le projet subversif de la scène no wave : une rupture avec les circuits de l’art contemporain et de l’industrie musicale par la déconstruction de certaines pratiques artistiques.

Dans Letters to Dad, Beth B et Scott B abordent la question de l’emprise incarnée par le gourou d’une secte et renforcent les intentions du mouvement no wave, marqué par le rejet des icônes rock et new wave de l’époque. Ce court-métrage rassemble des interprètes importants du mouvement qui récitent des lettres écrites par des adeptes de la secte du pasteur américain Jim Jones, le Temple du Peuple, juste avant leur suicide collectif en 1978. Le film commence avec l’histoire d’un homme qui, ayant préparé sa valise pour rejoindre la communauté de Jones au Guyana (Jonestown), oublie de prendre son pyjama et ses caleçons et se sent exclu lors de son arrivée face aux autres membres qui ont bien leurs affaires. Les propos absurdes de ce message personnel, récité par l’acteur avec beaucoup de sérieux, plonge le spectateur dans un monde étrange et grotesque. Suivent des histoires sur l’amour, la mort, le sentiment d’appartenance, les troubles mentaux, le sexe et le suicide, parmi d’autres thématiques abordées par les lettres des anciens dévots. Le regardeur joue ici le rôle du « père » et endosse sans le savoir le rôle de Jones en écoutant ces extraits de lettres récités par Don Christensen du groupe The Contortions, Laura Kennedy et Pat Place de Bush Tetras, Arto Lindsay de la formation DNA, ou encore par la réalisatrice Vivienne Dick, l’acteur Bill Rice, ainsi que les sculpteurs John Ahearn et Tom Otterness, notamment. Letters to Dad, ainsi que les autres films de Beth B et Scott B, précèdent l’émergence du « Cinéma de la transgression » formulé par Nick Zedd en 1985, et rassemble divers profils d’artistes qui correspondent à l’esprit ouvert et « do it yourself » de la scène no wave, qui se situe au croisement de la danse, de l’opéra, de la musique et des arts visuels. Une hybridation des genres qui correspond au choix de Beth B lorsqu’elle investit l’image en mouvement pour s’adresser à un public élargi, après avoir suivi un cursus artistique à la School of Visual Arts New York City (SVA NYC) : « Le cinéma m’a paru artistiquement beaucoup plus expansif et inclusif. À l’époque, on pouvait y aller avec cinq dollars et ça garantissait un public bien plus large et diversifié. [2] » Cette transition vers le cinéma expérimental permet à l’artiste d’évoluer en marge des circuits institutionnels de l’art tout en explorant des sujets qui se retrouveront dans l’ensemble de ses productions : contrôle mental, criminalité, torture psychologique et féminisme pro-sexe.

Nicolas Ballet
Décembre 2024

[1] « …grainy images with acidic colours, giving films an unpolished look. » Marc Masters, No Wave, Londres, Black Dog Publishing, 2007, p. 143.

[2] « Film seemed so much more expansive and all-inclusive in terms of the arts. Someone could pay, at that time, $5 to go see a film. I felt that this would ensure a larger – and more diverse – audience. » Beth B citée par Jack Sargeant dans Deathtripping: The Cinema of Transgression, Londres, Creation Books, 1995, p. 13.