Meeting Point, 1978

Betacam numérique, PAL, noir et blanc et couleur, son


Meeting Point ou La concordance des temps Meeting Point est une bande vidéo performative, réalisée par l'artiste croate Sanja Ivekovic au milieu des années soixante-dix. D'emblée le premier plan de la bande installe les éléments du dispositif qui seront mis à l'œuvre pendant le temps de la performance : un moniteur en marche – mais en attente, sans représentation, ne donnant pour image que de la neige électronique –, un magnétoscope à bande, posés sur un socle, ainsi qu'une une chaise vide tournée vers le moniteur sur laquelle l'artiste vient s'asseoir de dos pour dessiner au marker un point noir au centre de l'écran. Une fois cela mis en place, la caméra centre l'image sur le moniteur, réduisant l'espace de la performance à l'écran seul, alors même qu'on entend hors-champ l'artiste activer le lecteur vidéo. Le bruit caractéristique de la mise en route est essentiel, à la fois par sa puissance d'évocation à posteriori– un son d'époque-, mais surtout parce qu'il indique que, hors cadre, l'artiste est aux commandes de la machine et qu'elle maîtrise le processus performatif qui va se dérouler à l'écran. Le déclenchement de la performance débute avec la diffusion d'une vidéo sur le moniteur, perturbé volontairement par des arrêts sur image, dont on ne découvre la finalité que progressivement. Cet enregistrement représente l'artiste elle-même, dansant de manière jubilatoire au son d'une musique de hard-rock, filmée en plan rapproché au plus près du visage. Son regard se tourne par intermittence vers l'objectif de la caméra – vers le spectateur- laissant voir le point noir dessiné au milieu de son front. Tout l'enjeu de la bande, et de cette performance entre l'artiste et la machine, est de faire se coïncider les deux points noirs, celui qui se trouve dans l'image, dessiné sur le front de l'artiste, avec celui qui est dessiné au centre de l'écran. Il s'agit donc pour l'artiste de manœuvrer entre la fixité du moniteur et la temporalité de sa propre représentation, de maitriser par la machine le défilement du temps – notamment par l'usage du ralenti- pour arriver à ses fins. Il y a là à l'évidence un détournement de l'usage commun du moniteur comme du magnétoscope. La vidéo est interrompue dans sa logique temporelle, le flux de la séquence, l'image et le son étant constamment mis en état de rupture et de suspension pour que l'artiste puisse atteindre son objectif. Mais au-delà du principe ludique de faire coïncider deux images – un jeu " vidéo " si l'on peut dire -, il s'agit ici de signifier plusieurs temporalités distinctes. Deux temps sont effectivement mis en collision : le temps de l'enregistrement, passé par nature, re/présenté et réactivé par la machine, et le temps de l'action, celui dans lequel l'artiste active le lecteur et le temps enregistré. Un troisième temps est à considérer – celui de l'œuvre Meeting Point - somme des deux premiers et résultante de leur enregistrement, mise en abyme du temps sur une bande magnétique.


 Etienne Sandrin